Une expérience de l’Histoire Malouine

Histoire.
Avec un grand H.
Bon bin voilà. Tout est dit.
Bisou, merci.

… C’est un peu raide tout de même non quand sous le seul mot qui dit une Science, il faut se cogner des pavés pleins de dates et d’Illustres Personnages aux hauts faits ?
L’Histoire… haaa l’Histoire…
Et encore nous n’avons pas mis de lettrine pour la pompe. Mais de quelle Histoire parle-t-on ?

En tous les cas pas celle qui dit un commencement sans commencer par Il était une fois. En y réfléchissant un peu, qu’avons-nous retenu des cours d’Histoire à l’école ? Je suis prêt à parier que la très grande majorité d’entre nous n’ont à peine en souvenir qu’un nombre très restreint d’années célèbres et de personnages qui ont fait date.
C’est peut-être justement parce que l’Histoire a cessé d’être vivante à partir du moment où d’une part, à l’ancienne mode des musées, elle a été mise sous cloche dans des vitrines. Mais fort heureusement la nouvelle génération se fait une gageure de la rendre vivante. Et d’autre part quand elle s’est fait enclore dans des livres tout aussi irrespirables que lesdits musées à l’ancienne mode.

Allez, c’était juste pour dire que l’Histoire ça peut être aussi drôle qu’un vieux breton à qui on a piqué sa galette-saucisse (le truc à pas faire si vous tenez à la vie…), ou aussi intéressant qu’un reportage sur la reproduction des berniques en captivité (le truc à éviter sauf si vous avez un bon stock d’anti-dépresseurs et que personne n’ait réussi à vous piquer votre galette-saucisse). Passons donc aux choses vraiment captivantes…

Déjà posons comme postulat de départ que la réalité de l’Histoire est faite d’histoires en tous genres, en tous temps et avec tout individu. Et aussi que ce que nous retenons durablement ce ne sont pas les prétendus grands événements, tout réputés qu’ils soient, mais les petites anecdotes. Surtout les récits qui donnent des détails ou s’inscrivent dans la durée qui peuvent paraître d’une banalité sans conséquence pour la Grande Histoire, mais qui marquent les esprits.
En fait l’Histoire officielle est faite d’exceptionnel, et il en faut du remarquablement singulier pour que cela soit retenu dans les Annales. En effet, qu’aurait été la grandeur d’une cité, allez par exemple Saint-Malo, sans ses fortifications ? De la Conchée aux Remparts d’intra, la grande Histoire nous dit : Marquis de Vauban et badaboum les Anglais.

Là, on raconte l’histoire des gabarriers […] marins qui manœuvraient ces « petits gros poids lourds » de Rance que sont les gabares.

Messaia

Bon alors on est tous hyper impressionnés, bravo M. Vauban, respect et gloire à toi au rayon Histoire avec un grand H (bisou-merci-bisou). Mais je doute que ce soit vraiment toi, pépère à perruque, qui a fait l’histoire avec tes petites mains poudrées, toutes talentueuses qu’elles soient, pour avoir transcrit en plans ce que ton esprit brillant d’ingénieur et d’architecte militaire a pu concevoir.
De fait, considérons le côté de la petite histoire, voulez-vous. Faisons cas de ce que les Livres, tout érudits qu’ils soient, ont complètement oblitéré, soit par exemple l’ensemble des artisans et ouvriers, tous corps de métiers confondus, tels les bûcherons-scieurs-charpentiers, les carriers-tailleurs, etc. Rendons également leur part de reconnaissance à tous les gens de pays qui ont produit les ressources et nourri tout ce monde-là.
Citons sans réserve d’admiration les gens de mer qui ont assuré les approvisionnements.

En effet, nul besoin d’être historien patenté, pour admettre que ce n’est pas avec un cotre corsaire, tout fameux qu’il soit, que les blocs de granit ont été acheminés depuis les carrières de Chausey, de même que les massives pièces de charpente en provenance des coupes forestières des bords de Rance. Le tout ramené à la voile, sans sondeur ni GPS, AIS et ECDIS, dans le dédale de roches saillantes de la baie. Soit des marins qui ne jouaient pas à rase-cailloux juste pour le sport et le frisson en regardant la petite tache orange et rouge sur leur écran, mais qui devaient composer avec leur tirant d’eau, leur handicap à charge, les courants, les vents et avoir une lecture du plan d’eau d’une fiabilité absolue parce que les enjeux étaient leur vie et leur gagne-pain.
Là, on raconte l’histoire des gabarriers. Des marins qui manœuvraient ces « petits gros poids lourds » de Rance que sont les gabares, des canots creux, larges et ventrus, capables d’aller à l’échouage chargés ras la lisse sans broncher sur leurs bordées de bouchain. Même pas mal.

Personnellement, c’est ce genre d’histoires qui me fait me passionner pour l’Histoire. Savoir qu’il y avait tout un peuple qui œuvrait, naviguait, prenait des risques inconsidérés, se confrontait aux éléments, vivait et mourait pour servir anonymement la Grande Histoire est de mon point de vue bien plus passionnant et mémorable que tout le reste finalement. De même que savoir qu’il y avait une culture de la construction navale capable, entre autres, de répondre à des besoins aussi impérieux que défendre la petite clique de Messieurs qui se tiraient la bourre contre les Anglais pour satisfaire leur cupidité, leur égo et celui de leurs Maîtres.
Alors maintenant, ce n’est pas tout de le dire. Ce genre d’histoire, il faudrait pouvoir l’éprouver, ressentir ce que ces gabarriers ont pu vivre en tirant des bords dans l’estuaire. Sauf que, pour l’heure, il n’y a plus de gabare en Rance ou dans la baie de Saint-Malo, mais parions que ce Patrimoine-là va revenir1 parce que c’est nécessaire pour rendre vivant l’Histoire du pays en l’expérimentant physiquement.

À flots dans la baie, l’air iodé à pleins poumons […] vous avez devant vous un immense musée à ciel ouvert.

Meissa

À défaut de gabare traditionnelle, il y a le Meissa, le canot à moteur de Marin Malouin2 qui propose d’aller regarder l’Histoire depuis la mer. Déjà en soi, prendre ce recul-là, avoir une vision de ce que les marins de l’époque ont pu avoir est une expérience qui mérite de prendre son ticket. Mais non content d’offrir un regard avec un point de vue nautique sur l’Histoire, Nicolas, le patron, vous raconte un Saint-Malo historique avec plein de détails et anecdotes. Dont celle des gabarriers qui assuraient le transport en lourd du granit de Chausey. Et là, à flots dans la baie, l’air iodé à pleins poumons, le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’est pas poussiéreux et que vous avez devant vous un immense musée à ciel ouvert. Et si encore il s’en tenait à du discours documenté et à un grand bol d’air iodé avec une vue panoramique depuis la baie…

degustation

Point du tout, l’expérience prend une autre dimension quand il vous sera proposé de déguster des huîtres et les improbables créations culinaires de Malo Rhum3 qui maturent dans des bouteilles matelotées spécialement par Trigorioù pour servir l’histoire marchande et navale de Saint-Malo et ces boissons métissées.

Messaia

Ainsi, en excursion tant sensorielle que culturelle, vous appréhenderez qu’un simple bout de chanvre noué sur un flacon raconte ces petites histoires du commerce transatlantique. Des histoires aussi ténues qu’un brin de chanvre évoquent cette Histoire qui devient alors tangible. Plus qu’une histoire, c’est alors du patrimoine que vous pourrez percevoir et en savourer le contenu. Un moment historique pour qui en fait l’expérience.

L’abus de patrimoine ne nuit pas à la santé contrairement à l’alcool4. L’Histoire autant que la croisière en mer sont à consommer sans modération contrairement aux boissons alcoolisées4.


  1. Projet Construction d’une Gabare pour un territoire par le collectif Glaz Project ↩︎

  2. Marin Malouin : https://marin-malouin.fr ↩︎

  3. Malo Rhum : https://www.malorhum.com
    Cf. article Un flacon qui fait la différence ↩︎

  4. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé ↩︎