Challenge accepted !

Tout est né de la rencontre de Natali et Vincent, un couple de restaurateurs sur Saint-Malo intra-muros. Actuellement à la tête du restaurant Méson Chalut — article à paraître prochainement — ces derniers nous ont fait [et continuent de nous faire] confiance pour embellir la décoration de leur salle et terrasse avec des travaux de matelotages.

Au fil des discussions, Natali m’a posé un défi : le gainage d’une bouteille qu’elle affectionne tout particulièrement.

Cette bouteille est destinée à recevoir du vieux rhum. Alors même si l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération, tout ça tout ça, ce n’est pas le cas du matelotage et Natali m’a donné carte blanche pour l’habillage cette bouteille.

D’aucuns diraient cadeau empoisonné, je me suis plutôt souvenu de Barney S. : challenge accepted !

Et quel challenge !

Ah ouais, mais y a ça aussi…

Alors effectivement, dès que j’ai vu la bouteille, j’ai tiqué sur quelques points techniques difficiles :

  • la forme n’est ni ronde ni bombée, mais présente 3 faces plates.
  • et pour bien compliquer l’affaire : il s’agit quasiment d’un tétraèdre, donc au serrage, tout habillage aura tendance à remonter et donc se desserrer.

Mais c’est en m’y attelant sérieusement que j’ai découvert les autres « petits détails » épineux…

Le concept d’habillage au départ était d’entourer la bouteille d’un ou plusieurs nœuds cylindriques éventuellement de type bonnet turc, certainement doublés ou triplés, avec des « anses tirées » entre eux. Et si possible le faire en mono-brin, c’est-à-dire réaliser tout le nouage avec un unique cordage d’un seul tenant. Oui je vous ai dit, j’aime le challenge !

Et c’est là que les choses sérieuses commencent et qu’entrent en jeu lesdits « petits détails épineux » !

Empêcher aux nouages de glisser vers le haut

Pour empêcher les nouages de glisser vers le haut au serrage, je vais appliquer 2 principes :

  • Relier les 3 nœuds cylindriques entre eux en leur faisant partager une anse sur chaque face du tétraèdre, anses croisées pour la stabilité et l’esthétisme de l’ensemble ;
  • Fixer le nœud du bas.

Pour que le nouage du bas ne remonte pas, je vais tirer des anses à chaque sommet de la base pour les passer dessous. Or vu l’arrondi de ces sommets, l’anse ne tiendra pas et va pouvoir ressortir du sommet facilement. Il va donc falloir fixer ces anses.

Pour cela, je vais les « haubaner » en créant une structure globalement autostable en cordage à partir d’une anse tirée de ce même nœud cylindrique !

Obtenir un habillage homogène, symétrique et centré

Des anses…

Qui dit nœuds cylindriques dit nombre d’anses.

Or pour des raisons esthétiques, il faut que ces nœuds présentent un nombre d’anses :

  • multiple de 3, afin d’avoir le même aspect sur les 3 faces verticales ;
  • impaire, pour que les anses tirées sur chacune des faces soient bien centrées.

Et puis, comme je vais tripler les nœuds du bas et du centre (toujours avec le même cordage car en mono-brin), il faudra qu’ils aient un nombre d’anses différents mais :

  • cohérent pour avoir le même aspect
  • adapté au “taux de réduction” de la circonférence de la bouteille,
  • tout en veillant à ce que celui du centre tombe “relativement bien” en hauteur pour l’esthétisme général…

…et parties

Comme le yin et le yang, qui dit nœuds cylindriques dit aussi nombre de parties.

Et là ça se complique. Il faut :

  • que le nombre de parties et d’anses soient premiers entre eux pour rester en mono-brin
  • que le nombre de parties du bas doit être plus important que celui du milieu pour être plus large
  • un nombre de parties pair pour celui du milieu pour présenter une double symétrie verticale et horizontale (et donc avoir ses « anses tirées » du haut et du bas bien centrées)…

Et ce n’est pas tout… mais vous aurez compris que la question n’est pas simple !

Voilà, là c’est propre, c’est harmonieux…

Pour conserver des proportions harmonieuses entre les 3 nœuds cylindriques et la forme de la bouteille, j’ai décidé de ne pas faire un bonnet turc triplé pour le nœud du haut, mais un gaucho (nouage à simple chevron) en simple. Et comme celui-ci ne sera pas triplé, mais que je veux tout de même les 3 « anses tirées croisée », il faut qu’il soit construit en 3 phases distinctes en partant des 3 « anses tirées » du nœud central !!

Quelques chiffres

Bref, ce serait trop long de détailler ici toute la complexité et les « petits détails épineux » de ce projet, mais pour vous donner une idée, quelques chiffres parlant d’eux-mêmes…

00h
Étude
00h
Réalisation
00m
Cordage

Passé la phase de mûrissement pour avoir une idée générale de l’habillage que j’allais faire, j’ai mis près de 10h pour l’étude, la schématisation, définition des cheminements, croisements dessus/dessous, calcul des longueurs, prototypage et proof of concept

La réalisation proprement dite, avec le tournage sur cylindre, montage, ajustement, nouage de la structure autostable du bas, triplage et serrage a nécessité plus d’une dizaine d’heures supplémentaires.

Mais le résultat est là : un habillage plaqué à bouteille tétraédrique, stable, qui ne tourne pas, et le tout sans colle, simplement formé d'un seul brin de cordage de chanvre naturel poli d’une vingtaine de mètre de long !!